Dans un paysage médiatique où l’attention du consommateur devient rare et où le modèle de revenu classique est fortement sous pression, les entreprises médias sont constamment à la recherche de nouveaux moyens pour rester pertinentes. Les verticals – contenus définis par thème autour d’un intérêt ou d’un sujet – sont de plus en plus la solution et offrent des possibilités d’approfondissement, de création de communautés ainsi que de nouvelles sources de revenus. Nous nous sommes longuement entretenus avec Chris Van Gils, spécialiste des médias et de la communication et anciennement rédactrice en chef et éditrice, au sujet de cette évolution frappante dans les médias.
« Les verticals sont des contenu spécifiques qui tournent autour d’un seul sujet », explique Chris Van Gils. « Ce sujet peut être vaste (les voyages ou les investissements) ou très spécialisé (la pêche de nuit ou l’art floral). Il s’agit toujours de rassembler du contenu et des personnes autour d’un domaine d’intérêt commun. Ce qui distingue les verticals (pages verticales) des pages ou sections thématiques ordinaires, c’est leur structure stratégique. Une bonne vertical n’est pas une action isolée, mais une initiative structurelle qui peut devenir une marque reconnaissable au sein de la marque principale ou en parallèle de celle-ci.
Approche intégrée
En outre, les verticals sont souvent multimédias : elles combinent le digital et le print avec les médias sociaux, les événements, les formations ou même leurs propres produits. « On voit les verticals faire évoluer les silos classiques du print, du digital, des médias sociaux et des événements », explique M. Van Gils. « Elles sont souvent intégrées à l’ensemble du contenu et de la stratégie commerciale d’une entreprise médias. Ainsi, les verticals deviennent une approche intégrée où la rédaction, le marketing et les commerciaux travaillent en étroite collaboration autour d’un groupe cible clairement défini.
Ce groupe cible clairement défini renforce les rédacteurs et leur permet de se recentrer. Dans un paysage médiatique où le contenu généraliste a de plus en plus de mal à résister aux big techs internationaux, les marchés de niche peuvent être la clé d’une pertinence sur le long terme. « Les entreprises médias doivent retrouver leur valeur ajoutée », déclare M. Van Gils. « Aujourd’hui, cette valeur ajoutée réside beaucoup moins dans le large que dans le très spécifique. Les verticals permettent de concrétiser cette spécialisation. »
Opportunités commerciales hors publicité
Les verticals offrent plus de possibilités commerciales que la publicité traditionnelle. Parce qu’elles s’adressent à un public clairement défini, elles créent des publics adressables, c’est-à-dire des publics clairement définis que les marques peuvent cibler. Mais le potentiel va plus loin. « En fait, je pense que la publicité est l’un des aspects les moins rentables des verticals« , affirme M. Van Gils. « Le véritable pouvoir réside dans la relation plus profonde établie avec une communauté engagée. Vous pouvez construire des propositions commerciales autour de cela : des événements, des formations, des collaborations ou même les produits déjà existants de la marque.
Laboratoire d’innovation
Les verticals peuvent également jouer un rôle dans la transformation numérique des entreprises médias. Parce qu’elles partent souvent d’un groupe cible spécifique ou d’un besoin concret, elles offrent un terrain pour l’expérimentation à plus petite échelle de nouveaux formats, technologies ou modèles de revenus. « Parfois, il est tout simplement préférable de commencer sa transformation numérique par une vertical« , fait remarquer Chris Van Gils. « Vous pouvez apprendre à travailler avec cela, investir et ensuite passer à la vitesse supérieure. »
Il est important de noter que les verticals s’appuient sur ce que les éditeurs possèdent déjà en interne : l’expertise, la connaissance du public et la sensibilité éditoriale. « C’est l’un des rares modèles où les forces éditoriales classiques – savoir ce qui touche son public, faire parler les bonnes voix, élaborer un contenu pertinent – continuent à porter leurs fruits », explique M. Van Gils. « Et lorsque cela fonctionne, la rédaction a un sentiment d’impact et de réussite. Vous construisez vraiment quelque chose avec votre public. »
Pas de panacée
Malgré tous ces arguments positifs, les verticals ne sont pas une solution magique, selon M. Van Gils. Elles nécessitent de la concentration, du dévouement et des ressources, ce qui n’est pas évident en ces temps de baisse des budgets et de réduction des équipes éditoriales. « Il existe un risque de fragmentation du site ou de détournement de l’attention de la marque principale », souligne M. Van Gils. « Mais c’est peut-être justement l’évolution : certaines marques médias génériques se réinventeront en tant que verticals. Ou bien elles disparaîtront, mais leurs niches les plus fortes perdureront sous une nouvelle forme. »
Sur la scène internationale, il existe déjà de nombreux exemples de réussite. Condé Nast a par exemple lancé la marque distincte Vogue Business, une vertical B2B destinée aux professionnels de l’industrie de la mode, distincte de son magazine grand public Vogue. Bloomberg combine son produit principal – le Bloomberg Terminal – avec des verticals de niche telles que Bloomberg Wealth, qui se concentre sur les finances personnelles, les investissements et le style de vie. Le New York Times, quant à lui, a développé plusieurs belles verticals en plus de l’actualité, notamment NYT Cooking, NYT Games et Wirecutter. The Knot (pour les couples qui préparent leur mariage) et The Bump (pour les futurs parents) sont également de bons exemples aux États-Unis, avec des communautés actives, des outils utiles et des modèles de revenus bien pensés.
Inspirer
En Belgique aussi, la croyance et la prise de conscience se développent plus que jamais. Les grands acteurs sont pleinement engagés dans des verticals, tandis que les petites marques médias commencent à s’y intéresser. M. Van Gils estime que WE MEDIA a un rôle à jouer dans ce domaine. « En tant que fédération, WE MEDIA peut repérer les tendances, partager ses connaissances et, surtout, inspirer. En apportant des exemples étrangers, en partageant des cas, en organisant des ateliers. Nous ne devons pas inventer l’eau chaude, mais oser chercher de nouvelles opportunités dans un marché qui évolue rapidement. »
En bref, les verticals ne sont pas une mode, mais une évolution logique dans un paysage médiatique où la pertinence, la communauté et la diversification sont essentielles. Ou, comme le dit Chris Van Gils : « Aujourd’hui, en tant qu’entreprise médias, vous êtes repoussés de toutes parts. La question est donc de savoir comment retrouver sa place. Les verticals sont l’une des pistes.
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